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Ababouiné ou quand André Forcier passe le clergé au hachoir
27-08-2024

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J’ai vu Ababouiné, ou quand André Forcier passe le clergé au hachoir!

Avec l’accent mis sur le mot qui sert de titre, je m’attendais à un film sur les trésors perdus de la langue française. Pas tant. Y a beaucoup d’anglicismes par contre, l’histoire se passe longtemps avant la Loi 101. Pour m’amuser, je me suis donc permis quelques mots anciens et anglicismes pour ce texte, et j’en dis beaucoup sur l’intrigue. Vous voilà avertis.

En fait, Ababouiné c’est une vue sur les excès de l’Église, un brûlot qui pique, aussi bien envoyé qu’une balle de Jackie Robinson pour les Royaux.

Le réalisateur de Bar Salon, L’eau chaude, l’eau frette, Le vent du Wyoming, et tant d’autres, frappe un coup de circuit avec ce 17e film en carrière.

À une autre époque, pas si lointaine et que j’ai un peu connue, un tel film aurait été interdit par le Cardinal Léger à Montréal, l’archevêque Maurice Roy à Québec ou l’évêque Paul-Émile Charbonneau à Hull. À tout le moins, il n’aurait pas eu une bonne ‘’cote morale’’ dans le Bulletin diocésain.

Avec mon vieux fond judéo-chrétien, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de sacrilège dans la charge bon enfant de Forcier, mais en même temps c’est tellement réjouissant comme mise au pilori en mode fantastique. Comme une pénitence impitoyable pour tous les abus commis derrière la fameuse image sainte dont s’auréolait  les prêtres.

Car, oui, dans Ababouiné, les princes de l’Église en prennent pour leur grade.

Le film commence en 1956 avec un narrateur frondeur, le jeune fantasque Michel Paquette, qui se tient debout grâce à des béquilles (il a des braces aux jambes à cause de la polio), mais il ne manque pas d’échine une menute quand c’est le temps de remettre en question l’autorité des curés, des abbés et du cardinal qui imposent leur dogme aux habitants de son quartier, le Faubourg à m’lasse!

Dans ce quartier populaire de Montréal, l’Église n’a cure des velléités de laïcité du professeur Rochette. En plus d’enseigner au primaire, ce trublion tranquille rédige des pamphlets contre l’emprise de la religion sur les programmes scolaires, et un dictionnaire de mots du terroir oubliés.
L’Église sera impitoyable à l’égard de cette brebis égarée.

Dans une scène d’anthologie, qui s’ajoute aux déjà nombreuses du cinéma québécois, on voit les gardes du corps du cardinal Madore (quel nom de personnage bien choisi), vêtus de cet l’accoutrement multicolore de la Garde pontificale suisse (uniforme inspiré des fresques de Raphaël), démolir le local où ces textes à l’index sont imprimés. Au ralenti, sur la chanson Quand les hommes vivront d’amour de Raymond Lévesque, sous le regard horrifié de l’imprimeur Archange St-Amour et de son apprenti, le jeune Paquette. Ça fesse!

Pour rebâtir l’imprimerie de Saint-Amour et fille, il faut 5 mille piasses. Paquette et ses amis ont l’idée d’aller à l’Oratoire et y subtiliser le cœur du Frère André. En touchant la récompense promise par l’évêché à la suite de ce vol qui fait sonner les cloches de la ville pendant des jours, notre commandos pense que leur affaire sera ketchup, mais un autre destin attend le cœur en pot!

Tout ça est raconté comme un cartoon avec de la grosse émotion, beaucoup d’irrévérence, et une bonne dose de fantastique.

Des exemples? Il y a un personnage avec des pattes de félin, le Matou, qui fait gicler le sang quand il serre les ouïes de l’abbé Cotnoir en soutane. Il y a le cœur du Frère André qui parle à la cuisinière du cardinal. Il y a le Matou, encore lui, qui, au marbre, frappe une balle si solide et précise que, bull’s eye!, elle défonce le portrait du monseigneur dans le grand panneau publicitaire annonçant le chapelet de 7 heures à la radio.

Forcier prend des libertés en mettant en opposition les deux opiums du peuple de ces années-là: la religion et son chapelet radiophonique quotidien à CKAC (une émission qui a réellement existé de 1950 à 1970!), et le baseball avec ses matchs exutoires pour le peuple. Le scénario imagine CKVL comme diffuseur, mais je n’ai rien trouvé qui confirme que la station, propriété de l’homme d’affaires d’origine juive, Jack Tietolman, était vraiment l’antenne des Royaux.

Ababouiné, qui a le rythme du cinéma d’auteur d’antan (ceci explique qu’on y trouve aujourd'hui quelques longueurs), ne serait pas une telle réussite sans le fabuleux casting qu’on a réuni à l’écran.

Celui qui l’emporte en paradis, c’est Éric Bruneau. Il brille dans le rôle de l’abbé Cotnoir, un faux-cul aussi ignoble que fat. L’acteur donne un visage (tout en grimaces) à ces prêtres pédophiles qui ont ruiné tant de vies innocentes, tout en protégeant leurs fesses auprès de leurs supérieurs. Il y a là matière à prix d’interprétation tant Bruneau s’abandonne à ce personnage détestable, prêt à tout pour être en odeur de sainteté auprès de son cardinal.

Devant lui, Rémy Girard est tout rond, tout dodu, absolument formidable de complaisance à l’égard de sa gang, enveloppé dans sa robe pourpre avec sa capine assortie, et surtout préoccupé de finir ses jours pieds nus dans l’aube à Saint-Pierre de Rome, Florence ou Venise, en tout cas loin de la plèbe du Faubourg à m’lasse. Du grand Rémy Girard, qui m’est apparu comme un digne descendant de Guy L’Écuyer, acteur fétiche de Forcier à ses débuts comme réalisateur.

Quelle prestation aussi de la part de l’autre Rémi, Brideau celui-là, dans le rôle de Michel Paquette, 12 ans, celui par qui les choses arrivent. Sa bette, ses grands yeux de biche, son bagoût rappellent les grandes performances d’enfant acteur de l’histoire du cinéma. Le petit maudit, yé bon en torpinouche.

Il fait un bon match avec un Gaston Lepage des grandes occasions, attendrissant en typographe, un prote qui a la tremblote mais qui ne pète jamais vraiment les plombs.

Pascale Montpetit est suave avec sa face de blette qui fait des boulettes épiscopales.

Et Donald Pilon, c’est-tu pas toujours une joie de le voir apparaître dans un film. Ici sous les traits d’un Roger Bon Temps au chapeau de feutre, propriétaire de station de radio qui n’arrête pas de répéter :’’on parle pas de politique dans une province catholique’’.

Je pourrais continuer et nommer le générique au complet. Tout le monde est bon, bien sapé, bien coiffé devant la caméra de Nathalie Moliavko-Visotzky qui magnifique les années 1950. Il y a aussi, pour faire mon bonheur, le nom du photographe de plateau Pierre Dury dans les crédits.

André Forcier n’a besoin de personne pour être iconoclaste, il nous a habitués à un cinéma plein d’imagination capable de ruer dans les brancards, mais je dois dire que c’est probablement la contribution de Luc Dionne, l’homme derrière Omerta, Bunker, District 31, qui fait que toutes les vis de ce scénario halluciné sont aussi tights.

On est au moins 6 millions de Québécois à qui ce film va parler, les deux autres millions, approx, ceux qui n’étaient pas nés ou pas encore arrivés au Québec dans c’temps-là, pourraient y voir, s’ils se rendent en salle, un portrait aussi amusant qu’important, qui dit avec tant de dérision d’où on vient dans cette province.

J’aimerais bien que ce film bust le million de dollars au box office . Une histoire originale si bien torchée, ça mérite de l’audience.

J’imagine même Ababouiné, cette fresque 100% québécoise, être vue sur grand écran en Albanie, au Zimbabwe, à Biloxi ou à Bobigny. Ababouiné ça peut se dire dans toutes les langues, non?

Et tout le monde devrait comprendre que les religions abusent trop souvent de leurs brebis consentantes.

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