photo: Pierre Dury
La petite et le vieux: ceci n'est pas une critique
06-10-2024
Je vais vous parler de La petite fille et le vieux, mais je le concède d’entrée de jeu, beaucoup plus de moi que du film.
C’est fou combien le réalisateur Patrice Sauvé m’a propulsé dans mon passé avec son adaptation du roman de Marie-Renée Lavoie paru en 2010. Je n’ai pas lu ce livre, et j’avoue ne pas me rappeler de l’immense succès qu’il a obtenu.
Non ce qui m’attirait dans ce film, c’était d’abord de renouer avec le cinéma de Patrice Sauvé, un réalisateur avec qui j’ai travaillé brièvement aux nouvelles avant qu’il ne soit découvert avec la série La vie, la vie en 2001.
J’y allais aussi beaucoup pour Gildor Roy, que je tiens pour un de nos plus grands acteurs. De la trempe de Rémy Girard. Et ça se confirme une fois de plus dans ce rôle de vieux bougonneux au cœur tendre qui fume comme une cheminée et sacre comme un charretier.
En voyant la bande-annonce, j’ai aussi été attiré par l’endroit où se passe l’action: Québec, dans les années 1980. J’y ai vécu de 1977 à 1981.
En choisissant de tourner dans le quartier Saint-Jean-Baptiste plutôt qu’à Limoilou où l’action du roman est campée, Patrice Sauvé m’a littéralement téléporté dans ce moment de ma vie où j’ai habité sur la rue Saint-Olivier, à côté du dépanneur Deligny tenu par des Libanais qui avaient fui la guerre (pensée pour le Liban qui vit encore la guerre), pas loin de chez Bégin, ma première boucherie!
L’action se passe donc sur des rues (Richelieu, D’Aiguillon, Sutherland, La Tourelle, Claire-Fontaine, Sainte-Claire, etc.) au décor si familier pour moi. Je n’avais pas assez de mes deux yeux pour tout voir. Impossible alors d’avoir un jugement objectif par rapport à ce film, ce qui se passait à l’écran était trop personnel.
Des souvenirs du restaurant cambodgien La Paillotte, du restaurant de couscous Carthage, du café latino Le Poncho à la Place d’Youville me sont revenus. C’est dans ce quartier de Québec que j’ai découvert l’apport inestimable de l’immigration dans nos vies.
Et je n’avais pas fini de me reconnaître dans ce film.
Comme le personnage de la petite, incarné avec tellement de justesse par Juliette Bharucha dans son premier rôle au cinéma, enfant, à Hull, ma ville natale, j’ai moi aussi passé le journal en vélo. Je me suis revu roulant mes exemplaires du Devoir et du Montréal Matin et les lancer à bout de bras sur les perrons des abonnés avant que le soleil ne se lève.
Comme elle, encore!, j’avais 10-12 ans quand j’ai travaillé au bingo paroissial à prendre des commandes et servir des hot-dogs, des œufs dans le vinaigre, des chips, et des liqueurs à une clientèle brusque, occupée à manipuler ses pitons de bingo en plastique ou à tamponner ses cartes, dans un sous-sol d’église bruyant où la fumée était à couper au couteau.
Dans La petite et le vieux, le troisième personnage important c’est le père de la petite. Guillaume-Vincent Otis y joue le rôle d’un homme qui aspire à un autre destin que celui que la vie lui impose. Mais en attendant, il enchaîne petite bière après petite bière, fume cigarette après cigarette (roulées maison avec la même machine que celle de mon papa), en écoutant le baseball des Expos avec la voix réconfortante de Jacques Doucet.
Comment ne pas repenser à mon père? En effet, c’était sensiblement le même portrait, à la différence qu’il aimait plus la grande musique que les livres. Il aurait eu 100 ans cette année s’il n’était pas mort subitement à 67 ans, à peu près l’âge du vieux du film.
Bref, ce film m’a vraiment transporté dans un autre temps, comme peu de films l’ont fait dans ma vie. C’est probablement ça qui arrive quand on vieillit, les souvenirs sont nombreux et nous submergent. En tout cas, merci Patrice Sauvé pour ce voyage dans le temps.
Quel effet aura-t’il sur vous? Allez le voir, je pense que vous passerez aussi un bon moment, car il parle de nous, d’une époque pas si lointaine, mais tellement différente d’aujourd’hui.