photo: Pierre Dury
Charlebois symphonique
25-08-2024
Il y a 5 ans (en juin 2019) j’ai assisté à la salle Wilfrid-Pelletier à un événement exceptionnel, Robert en Charleboiscope, que je range parmi les meilleurs spectacles que j’ai vus de ma vie.
Quand j’ai appris que Charlebois remontait sur scène en version symphonique avec l’Orchestre symphonique de Montréal, j’avoue que j’ai douté qu’il soit capable, à 80 ans, d’accoter cette soirée parfaite. D’autant plus que je garde un précieux souvenir du fabuleux concert populaire qu’il avait donné avec le même orchestre en 1971.
La télévision de Radio-Canada l’avait diffusé sous la direction de François Bernier. Dans notre sous-sol pas fini, sur notre télévision en noir et blanc, son interprétation d’Ordinaire au piano à queue avait bien impressionné le ti-cul de 12 ans que j’étais. Je découvrais la puissance d’un orchestre symphonique.
Eh bien 53 ans plus tard, j’ai retrouvé mon émerveillement de gamin devant ce monstre sacré qui n’a rien perdu de sa superbe, autant dans l’agilité vocale que physique, que dans sa manière de nous faire passer du rire aux larmes. Parce qu’il y a tout ça dans le répertoire de Robert Charlebois, grâce à son association avec des auteurs aussi différents que Marcel Sabourin (Fu Man Chu, Le mont Athos), Rimbaud (Sensation), Réjean Ducharme (Heureux en amour), Mouffe (Ordinaire), Saint-Augustin (Ne pleure pas si tu m’aimes), Claude Péloquin (Lindberg), Gilles Vigneault (Mourir de jeunesse).
Ça, c’est sans parler quand il fait des siennes! Si puissantes comme Je reviendrai à Montréal et Avril sur mars, et souvent déjantées comme Terre Love, La fin du monde, Madame Bertrand.
La beauté de ce concert c’est qu’il refait pour nous plusieurs pépites enfouies dans nos souvenirs, ce qu’on appelait dans le temps des Face B.
D’ailleurs, il ouvre son spectacle avec une des chansons que j’aime le plus de Charlebois, Deux femmes en or, un mélange d’humour et de caricature sociale sur une musique qui passe du grandiose à Bugs Bunny en 6 minutes.
La référence à Bugs Bunny, je la dois à Charlebois qui l’a faite sur scène après avoir chanté sa chanson. Car il fait ça aussi notre Robert, mettre ses chansons en contexte, souvent avec humour, toujours dans un esprit pédagogique léger.
J’ai enfin compris d’où vient l’inspiration de Phébus et Borée, Dieux du soleil et du vent (Jean de La Fontaine a en fait une belle fable), réunis dans cette pièce instrumentale qui ne compte qu’un phrase : ‘’Here the Wind blow Baby’’
Siffler une chanson avec un orchestre symphonique, faut bien se dire ‘’ordinaire’’ pour faire ça.
Et ce n’est pas sa seule pirouette au programme.
Terre Love, chanson écrite ‘’sur la drogue’’, a été un moment d’anthologie. Quel décalage d’entendre le ténor Frédéric Antoun chanter à pleins poumons les mots cochon, truie, pourceau dans la salle lambrissée de la Maison symphonique.
(Décochons, Des traits, Et détruit, Et détruisons l’ennemi
C’est pour sau... C’est pour sau... C’est pour sau...
C’est pour sauver, C’est pour sauver la patrie)
C’est le chef Jacques Lacombe (quel bon casting, quel engagement dans la direction!), qui nous a expliqué que Charlebois s’était inspiré autant des Canons de Pachelbel que du théâtre d’Alfred Jarry (maitre de la pataphysique et auteur d’Ubu roi) pour cette composition.
C’est ce qui est fantastique avec Robert Charlebois, sans l’air d’y toucher, il puise son inspiration dans l’immensité de la culture universelle.
Moi qui n’ai pas fait mon cours classique, je lui dois beaucoup de découvertes, notamment celle de Rimbaud avec sa mise en musique (un peu country) du poème Sensation que Pierre Elliot Trudeau se plaisait à citer de mémoire de son vivant.
En ressortant pour ce spectacle quatre titres du disque Un gars ben ordinaire paru en 1970 (celui où il porte une chemise bleue et un regard désemparé), je réalise que cet enregistrement a eu un effet durable sur le petit gars de 12 ans que j’étais alors. Qu’on pouvait être à la fois tragique et moqueur, insolent et respectueux, rock et classique, être porté par les beaux mots et endossés ceux de la langue de chez-nous. Charlebois a certainement fait autant que Michel Tremblay pour célébrer notre parlure québécoise. Le Québécois rentrait dans toutes les maisons quand ses chansons tournaient en boucle à la radio.
Notre Garou Premier a encore une fois excellé dans cet art de faire cohabiter les genres. Il a fait appel à l’imposante contralto Rose Naggar-Tremblay pour lui donner la réplique notamment dans Madame Bertrand, à la place de Mouffe, et dans Lindberg, en lieux et places de Louise Forestier, deux moments parmi les plus appréciés de la salle. Et pour cause!
À 80 ans, il faut être solide vocalement pour se faire ainsi accompagner. Comme il y a 5 ans dans Robert en Charleboiscope, j’ai été flabbergasté par la justesse de la voix, la capacité de se rapprocher vocalement des versions originales.
Si on lui a procuré un chœur, c’est pour ajouter des feux d’artifice au spectacle, pas pour qu’il chante à sa place.
Quel bonheur aussi d’avoir si bien utilisé le Grand Orgue Pierre-Béique entre autres dans La fin du monde (chanson qu’il avait faite en 1971 avec l’OSM, mais sans orgue).
Il faut saluer l’incroyable travail d’Hugo Bégin à l’adaptation symphonique des chansons de Robert Charlebois. Une entreprise colossale dont on souhaite qu’il reste quelque chose de plus que notre seul souvenir aussi magique soit-il..
Ce concert aurait vraiment mérité d’être capté pour la télévision comme celui de 1971. On ne réalise pas l’impact que la diffusion de ce concert aux Beaux Dimanches a eu sur la culture musicale de milliers de personnes qui l’ont vu. Nos jeunes mériteraient d’être aussi exposés à ce qu’il y a de meilleur de notre culture québécoise.
Je n’étais pas la seule tête blanche dans la salle à poursuivre ce grand voyage avec l’artiste unique qu’est Robert Charlebois.
Parmi les centaines de spectateurs anonymes comment ne pas remarquer Yvon Deschamps, l’allié de la première heure, avec sa femme Judy, Luc Plamondon, présent malgré qu’aucune de ses chansons ne figurait au programme, Marc Laurendeau et Anne-Marie Dussault, et aussi Laurence, l’épouse du grand frisé qui m’a averti de préparer mes mouchoirs pour la deuxième partie.
Le tour de chant se termine en effet les yeux dans l’eau avec Et voilà, une chanson récente qui dit la fatalité:
‘’Je mets les voiles sans me retourner
Et toi tu vas continuer à briller sans moi
C'est la vie, c'est comme ça
Oui, toi tu vivras longtemps après moi
Les enfants savent que c'est souvent comme ça
Et toi tu vas continuer à les surveiller
C'est la vie, c'est la loi’’
Mais comme au baseball, avec Robert Charlebois, c’est pas fini tant que c’est pas fini.
Il donne rendez-vous à son public en mai 2025 pour une reprise de ce Charlebois symphonique avec l’Orchestre symphonique de Québec au Grand Théâtre de Québec. C’est votre chance de vous reprendre.
https://www.osq.org/concerts/charlebois-symphonique-avec-losq/
Il y a aussi un autre spectacle construit autour des chansons que Réjean Ducharme lui a écrites au fil des ans. Dans une salle de spectacle près de chez vous en octobre, novembre et décembre.
https://www.osq.org/concerts/charlebois-symphonique-avec-losq/
Merci à Claude Larivée, gérant de Robert Charlebois, de si bien s’occuper et mettre en valeur son artiste depuis 2001. Nous en bénéficions tous.