photo: Pierre Dury
Don Juan 2024
09-08-2024
L’été des valeurs sûres et des marques éprouvées se poursuit.
Après Starmania à Laval, RBO à Trois-Rivières, Moi …et l’autre à Terrebonne, la Poune à Joliette, Waitress au Grand Théâtre de Québec, les Belles-Soeurs et les souvenirs 1995 de la ‘’Course Destination monde’’ au cinéma, voilà Don Juan qui remonte sur les planches de la salle Wilfrid-Pelletier.
Le spectacle musical de Félix Gray, mis en scène par Gilles Maheu, a été créé il y a 20 ans. Il était visiblement attendu: plus de 50 000 billets ont déjà été vendus.
Pourquoi reprendre ce spectacle?
Parce que visiblement il y a une demande, et pas juste ici, la production arrive d’une tournée en Chine (Shanghai, Beijing, Hangzhou, Guangzhou, Shenzhen et Xiamen).
Parce qu’il était excellent à l’origine.
Parce qu’une histoire pareille c’est assez intemporel (encore que c’est assez macho l’histoire de Don Juan, ce séducteur impénitent qui fait succomber toutes les femmes).
Donc, une reprise à Montréal, où tout a commencé lorsque Guy Cloutier et Aldo Gianpaolo, entre autres, ont fait confiance au livret de Félix Gray, un juif de Tunis qui faisait carrière comme ‘’chanteur de charme’’, dans la veine des Herbert Leonard et Claude Barzotti.
Je me rappelle avoir été successivement sceptique devant ce projet de spectacle musical, et confondu devant le résultat lors de la première.
J’avais trouvé que Félix Gray avait relevé haut la main le défi de raconter son histoire avec seulement des chansons, pas de dialogues. Il y en a trois douzaines dans son livret, dont quelques unes sont devenues de véritables tubes qu’on prend toujours du plaisir à réentendre, à commencer justement par ‘’Du plaisir’’, mais aussi ‘’Changer’’, ‘’Aimer’’, ‘’Les amoureux de Séville’’, ‘’Vivir’’.
Là où Plamondon et Berger se sont mis à deux pour faire leur spectacle, l’auteur-compositeur Félix Gray est le seul artisan du livret de son Don Juan. Une œuvre écrite avec des mots simples, facile à comprendre par tous, mais avec de bien jolies rimes quand même, et des mélodies souvent imparables.
Ça, c’est sur papier.
Il fallait transposer cette proposition sur scène.
C’est là qu’entre en jeu Gilles Maheu.
Le metteur en scène derrière le succès de Notre-Dame de Paris de Plamondon-Cocciante, mais aussi le fondateur de Carbone 14, et le ‘’Marcel’’ du film Un zoo la nuit de Jean-Claude Lauzon, Gilles Maheu, donc, a mis tout son talent d’une vie pour faire de cette histoire campée en Espagne un véritable feu d’artifice.
Le génie d’un bon metteur en scène c’est de savoir bien s’entourer pour que tous les collaborateurs travaillent dans la même direction artistique qu’il a imaginée, et qu’ils élèvent ensemble le sujet du spectacle à des sommets.
Ce qui fut fait.
L’équipe de Maheu, c’est comme des enfants du paradis qui font chacun des miracles dans leur domaine.
Le scénographe Guillaume Lord a créé un formidable écrin qui permet à l’imposante troupe de se déployer en formule cinémascope. Le plateau tournant et la manière dont sont représentés les chevaux de combat de Raphaël sont toujours, 20 ans plus tard, aussi réussis visuellement.
Ajoutez à ça, les nouvelles projections vidéos fabuleuses de Randy Gonzalez et les éclairages d’Axel Morgenthaler et vous avez un spectacle rien de moins que somptueux. Beaucoup plus coloré et vitaminé que le très sombre mais néanmoins spectaculaire Starmania vu la veille.
Un mot d’ailleurs sur le concepteur des éclairages. Dans mon souvenir, ce qu’Axel Morgenthaler avait imaginé il y a 20 ans était vraiment d’avant-garde, précurseur. C’était l’époque où il venait de s’illustrer avec ce fameux luminaire projetant les emblématiques points rouges devant les salles de spectacles du Quartier des spectacles. Sa reconnaissance à l’international a fait qu’on l’a perdu comme créateur à Montréal.
À l’époque, Gilles Maheu a aussi fait confiance à deux grands designers de Montréal pour les costumes: Georges Lévesque (de la boutique Scandale sur Saint-Laurent) disparu en 2011, et Michèle Hamel (Marguerite Vollant, Les Filles de Caleb). Il n’aura jamais eu à regretter son choix. Dans ce show, l’habit fait le moine.
Don Juan est un spectacle de chansons, d’un style qui n’est pas nécessairement ma tasse de thé. Les amours compassées et les histoires d’honneur (interprétées souvent avec emphase) sont le lot de cette histoire. Elles sont cependant très bien servies par la distribution en partie renouvelée. Parmi les nouveaux il y a Olivier Dion (Don Carlos), Roxane Filion (Isabel), Alysée Lalande (Elvira), alors que Cindy Daniel et Philippe Berghella reviennent, elle dans le rôle de Maria, lui, toujours en Raphaël.
Dans le rôle principal de Don Juan, Gian Maria Schiaretti (né à Parma en Italie en 1986) est impressionnant vocalement et de stature. Il incarne parfaitement l’être solitaire et froid que Félix Gray a imaginé.
J’ai le souvenir que Jean-François Breau était un Don Juan plus jeune … et plus aimable, ce qui a certainement contribué au succès de la production en 2004.
J’ai aussi eu beaucoup de plaisir à revoir Robert Marien. Même si le rôle est secondaire, il en impose, toujours aussi en voix et d’une prestance qui convient parfaitement au rôle de Don Luis, le père de Don Juan.
Mon coup de cœur, aujourd’hui comme il y a 20 ans, va à tout ce qui évoque la culture espagnole dans ce spectacle.
Les gitans incarnés par José Manuel Fernandez, Joël Netry et Renato Papalia mettent le feu dans la place dès qu’ils sortent leurs guitares et percussions et chantent à s’époumoner comme les Gypsy Kings de nos souvenirs.
Et que dire des danseurs, éblouissants à chaque fois qu’on leur cède toute la place pour nous montrer leur virtuosité à taper du talon, claquer les castagnettes, manœuvrer les éventails, cambrer le dos et agiter les mains. Il y a des mots pour ça: zapateado (technique des pieds), braceo (technique des mains) et marcajes (technique du corps).
Les chorégraphies sont signées Carlos Rodriguez et Angel Rojas. Rodriguez, qui mène sa troupe sur scène, est un vrai de vrai qui travaille autant au Ballet National d’Espagne qu’à la direction artistique de l’émission Got Talent Spain.
Voilà donc un spectacle produit par des Français (ceci explique les gros moyens), utilisant le génie créatif des Québécois, et qui fait rayonner la langue française ici comme à l’étranger.
Personnellement, je ne peux qu’adhérer à une telle proposition.
Je préfère ça mille fois aux traductions de comédies musicales américaines.