photo: Pierre Dury
Amours, délices et orgues de François Dompierre, le récit d’une vie qui ressemble à un chemin de Compostelle
28-03-2021
Le compositeur-musicien-épicurien-voyageur-auteur-animateur François Dompierre publie cette semaine le récit de sa vie. De Hull en 1943, à ici et maintenant, il en a tant à raconter qu’il a intitulé son livre Amours, délices et orgues, les trois seuls mots de la langue française qui passe du masculin au féminin lorsqu’ils sont au pluriel. Cela donne le ton à ces Récits d’une vie plurielle. Pour le lecteur qui s’y plonge, cette autobiographie est une gourmandise.
Dans sa vie, qui est loin d’être finie, François Dompierre a porté plusieurs chapeaux. Par où commencer? Tiens, pourquoi pas par celui du marcheur. Comme Félix Leclerc, avec lequel il a si bien travaillé, ses souliers ont beaucoup voyagé. Il en a fait des pas, jusqu’à guider des groupes dans des expéditions de marche sur les sentiers du Périgord, de la Toscane, du Vietnam, de la Côte Basque, et de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Cela me permet de dire d’entrée de jeu, que la vie de cet homme ressemble justement à un chemin de Compostelle, avec des plats, des montées, des descentes, des périodes plus exposées, d’autres plus à l’ombre, quand ce n’est pas l’obligation de se mettre à l’abri d’intempéries. De tempêtes intérieures vraiment violentes. Il y a des moments où il a siffloté la tête heureuse sans penser à la longueur du chemin, d’autres où il a dû se regarder mettre un pied devant l’autre à cause de l’impression de n’avancer à rien.
Le petit Dompierre, comme l’appelle ma belle-mère qui a été sa voisine, a rapidement dévoilé son don pour la musique. Sur la photo de la couverture, on le voit, les cheveux en bataille, toucher l’orgue alors qu’il a seulement cinq ans. Mais le petit prodige est aussi un galopin, un garnement qui ne rapporte pas de bonnes notes à la maison, et en rajoute à la partition quand on essaie de lui montrer de grandes œuvres sérieuses. Il aurait grandi à l’époque d’aujourd’hui, on lui aurait diagnostiqué un trouble de l’attention.
Il demeure que le talent d’improvisateur qu’il manifeste enfant l’accompagnera toute sa vie. François Dompierre dit d’ailleurs qu’il n’est pas un pianiste, mais un compositeur qui joue du piano.
L’homme a une facilité à produire des mélodies accrocheuses. Il raconte la rapidité avec laquelle il a composé la fameuse ritournelle publicitaire Faut se parler pour la bière Labatt, la musique sur le magnifique texte J’ai l’âme à la tendresse de Pauline Julien ou celle qui a fait de Demain matin Montréal m’attend de Michel Tremblay un tube increvable.
L’exemple qu’il donne de Saute-mouton est amusant. Cette pièce instrumentale a été composée en urgence parce qu’il manquait de musique pour compléter l’ambitieux disque Borne fontaine, paru en 1975. Et c’est ‘’ce petit air anodin’’ qui a fait que le disque a été remarqué et vendu à plus de 85 000 exemplaires.
Quand j’entends, à 20 heures sur Ici Musique, l’indicatif musical qu’il a composé pour l’émission Toute une musique de Marie-Christine Trottier, j’ai la preuve qu’encore aujourd’hui, il n’a rien perdu de son habilité à créer des vers d’oreille.
Mais il y a aussi des pages et des pages pour contrer l’impression que tout lui est facile, pour dire que la musique c’est du travail. François Dompierre fait le détail des symphonies qu’il a composés, et des musiques de films dont il a accouché, plus d’une soixantaine et pas les moindres (IXE-13, Bonheur d’occasion, Les portes tournantes, Le déclin de l’empire américain, Le sang des autres, C’ta ton tour Laura Cadieux, La passion d’Augustine, etc.).
Rarement ai-je lu une description aussi précise de ce que représente le travail de composition, d’arrangement, d’orchestration, d’enregistrement. Un art qu’il lui a fallu réapprendre avec l’arrivée des machines (outils numériques, claviers électroniques, logiciels de composition). Le compositeur ne manque d’ailleurs pas de remercier ceux qui l’ont épaulé toute sa vie durant : les copistes, les répétiteurs, les techniciens de son, les musiciens, les chefs.
Il nomme des noms, mais son livre est comme un grand hommage généralisé à ses frères d’armes. La description qu’il nous fait d’un orchestre symphonique est un poème. Il le compare à un microcosme : ‘’Cinq continents distincts habités par des populations diverses partageant un bien commun, la musique’’, et là, de présenter les particularités de chaque groupe avec une connaissance frappante de ce qui fait la singularité de chacun.
Et oups, à la page suivante, le lyrisme des mots cède le pas à une anecdote triviale tirée d’un voyage en famille en camping-car. Car il y a ça aussi dans l’existence de François Dompierre et dont il parle d’abondance: la vie! La vie de famille : sa mère, son père, et sa grand-mère tiennent une place importante. Imaginez, il a passé trois semaines en France avec sa Mémé d’amour. Cinq semaines en Europe, seul avec ses parents alors qu’il a 40 ans. Il y a aussi la vie amoureuse, avec ses hauts et ses bas, qui lui donne 4 enfants de deux femmes différentes. La vie d’épicurien, où l’occasion est toujours bonne de faire bombance et d’ouvrir de bonnes bouteilles. On a même droit à quelques recettes de son cru. À quelques leçons de vie aussi. Car cet homme, qui semble avoir toutes les prédispositions au bonheur, a dû combattre toute sa vie une anxiété prégnante qui l’a un jour conduit à Saint-Jean-de-Dieu.
À l’heure où on parle beaucoup de santé mentale, ce témoignage d’une grande franchise fait la preuve qu’il y a moyen de vaincre ses démons. Malgré eux, qu’il a su dompter, sa carrière a été fructueuse et célébrée. Lui qui craignait l’eau a appris à nager, sur le tard. Il raconte aussi comment il a dominé sa peur de l’avion en suivant des cours de pilotage.
Je le vous dis, on ne s’ennuie pas avec Amours, délices et orgues. Natif de Hull, comme François Dompierre, j’ai eu le plaisir supplémentaire de retrouver les charmes anciens de ma ville natale dont on parle si rarement dans les livres. Dans le premier chapitre qui porte sur les années 1943 à 1960, il parle de cette paroisse Saint-Joseph où mes parents sont nés et se sont mariés, des églises où mon père a chanté, du collège Saint-Alexandre que mon frère a fréquenté, d’une ville qui connaissait à cette époque une vie culturelle grouillante.
Mais c’est quand il décrit son premier voyage à Orford, où il va participer à son premier camp musical, que j’ai compris à quel point nous appartenons à la géographie de la région qui nous a vu naître. Ce qu’il voit de la fenêtre de son autobus de la Colonial Coach Line, c’est le paysage paisible, coquet et organisé des Eastern Townships. ‘’Rien à voir avec le pays de mon enfance, gossé à la hache par des bûcherons aux allures de Vikings. Ici, peu de massifs d’épineux, mais de beaux érables rouges, des trembles, des peupliers.’’ C’est donc ça que j’ai ressenti la première fois que je suis allé dans les Cantons de l’Est!
François Dompierre raconte sa vie avec l’appétit de l’épicurien, le sens du punch du gars qui a fréquenté le milieu de la pub, le lyrisme du compositeur classique, le talent de conteur de l’animateur de radio qu’il a été, l’ouverture d’esprit des grands voyageurs, et la liberté de celui qui a vécu une époque où on était moins frileux avec les mots.
Je le répète Amours, délices et orgues est une gourmandise.