photo: Pierre Dury
Guy Fournier se passe de présentation. On peut dire qu’il fait partie du paysage depuis toujours. Il est quand même né en 1931! En plus, jusqu’au 23 mars 2023, date du décès de son frère jumeau, il venait un peu en double puisque Claude et Guy ont été monozygotes pendant 91 ans, neuf décennies à ressentir, apparemment, les mêmes bobos en même temps et à laisser leurs marques dans la culture québécoise. De là le titre du livre, Jamais deux sans moi, dont la dédicace, de Guy à Claude, se termine par : ‘’On s’est toujours copiés’’.
Guy Fournier a longtemps procrastiné par rapport à cette autobiographie. C’eût été dommage qu’il ne l’écrive pas, et on doit à l’auteur Pierre Huet d’avoir largement contribué à l’accouchement de ce livre qui est un essentiel pour comprendre le Québec, de la grande noirceur à notre époque redevenue frileuse, autrement. Ce livre nous promène dans toutes les villes où Fournier a eu un toit : Waterloo, Chambly, Saint-Hyacinthe, Granby, Sherbrooke, Trois-Rivières, Montréal, Westmount, Outremont, L’Île-des-Sœurs, Paris, et le chalet de Saint-Paul-d’Abbotsford, si propice à la baignade à poil.
Comme ils ont dû se marrer Fournier et Huet (quand même ancien rédacteur en chef du magazine satirique CROC!) à enfiler les perles de ce chapelet d’anecdotes que ce livre de 433 pages recèle.
Comptez sur l’esprit libre et fantasque de Guy Fournier pour dire les choses sans filtre, après tout n’a t’il pas été pendant 20 ans le chroniqueur humoristique du magazine Perspectives (un million d’exemplaires distribués!) dans lequel il s’est fabriqué un personnage cartoonesque capable de tout dire, et même son contraire?
Comme de nos jours on a perdu l’habitude de la parole libre, tant de désinvolture et de candeur peuvent être par moments décoiffant. Vous aurez toute la panoplie de ses frasques sexuelles. Des premières pollutions nocturnes à ses adultères répétés en passant par sa circoncision, et les curés qui, au collège, ont la main baladeuse sous ses culottes courtes.
Guy Fournier est résolument un homme à femmes. On lui attribue cinq conjointes officielles (Louise, Aimée, Louise 2 (Deschâtelets), Alba et Maryse, il parle de chacune d’elle en détail), et de très bonnes amies, dont Judith Jasmin et Anne Hébert. J’ai cependant perdu le compte de ses conquêtes extra-conjugales. Du haut de ses 5 pieds 4 pouces et demi, cet homme est un tombeur, d’un modèle d’autrefois. Si l'on se fie à ses dires, il a bénéficié de la complicité des femmes de son époque, bien consentantes à répondre à ses avances.
En fait beaucoup de gens l’ont pris en affection. Sa vie est parsemée d’amitiés avec des gens aussi différents que Michel Chartrand, Jean-Jacques Bertrand, Pierre Laporte, René Lévesque, Pierre Elliot Trudeau.
Au fil des pages, on sera d’ailleurs constamment surpris de voir où les relations, les contacts, les amitiés vont l’amener.
Imaginez un instant que le même Guy Fournier sera dans sa vie en contact régulier avec le premier ministre Maurice Duplessis, scripteur des émissions spéciales lors de la première visite de la Reine Élisabeth au Canada, à l’origine de La Boîte à surprises, producteur du film Fantastica de Gilles Carle (il se retrouve au bras de Jeanne Moreau à l’ouverture du Festival de Cannes en 1980), membre d’un comité fédéral pour la réforme de la police fédérale (RCMP), président fondateur de l’Institut québécois du cinéma (l’ancêtre de la SODEC ), auteur de plusieurs téléromans qui font des millions de cotes d’écoute (Jamais deux sans toi, Peau de banane, Ent’Cadieux), fondateur de Télévision Quatre Saisons, président du conseil d’administration de Radio-Canada. Et je n’ai même pas fait le tour de tout ce à quoi il a touché.
Guy Fournier revient sur chacune des étapes de sa vie avec une mémoire redoutable. On réalise alors combien il a donné à la société, notamment à l’industrie culturelle québécoise.
Il ne se gêne pas pour étayer ses histoires de détails qui malmènent au passage des réputations souvent bien lisses.
Des exemples?
La férocité de l’opposition de Claude-Henri-Grignon, Pierre Dagenais et Jean Desprez lors de la grève des réalisateurs de Radio-Canada. Le côté trublion et bambocheur de Pierre Nadeau et Jacques Fauteux pendant les trois mois de la couverture de la visite de la reine en 1959. Le caractère irascible d’Angèle Coutu qui refuse systématique d’embrasser son partenaire Jean Besré dans Jamais deux sans toi. L’intransigeance de son amie la tapissière Micheline Beauchemin dans un combat qu’elle mène contre Hydro-Québec où il compte des amis haut placés notamment Roland Giroux qui a signé le fameux contrat avec Terre-Neuve. D’ailleurs, Guy Fournier ne manque pas de rappeler qu’il est l’auteur du fameux slogan ‘’On est hydroquébécois!’’.
L’homme au franc-parler ne s’épargne pas non plus. Il admet ses torts, avoue ses échecs, concède ses excès, confie avoir souvent pleuré sa vie avant de repartir pour de nouvelles aventures qui souvent lui ont coûté très cher. Mais bon, il ne semble pas trop avoir manqué d’argent, sauf dans son enfance (on oublie à quel point le Québec a été pauvre). D’ailleurs, il est très rare qu’une vedette soit aussi transparente par rapport aux mirobolants cachets payés à la télévision.
Ce n’est cependant pas comme président du conseil de Radio-Canada qu’il s’est mis riche. Les émoluments pour cette fonction sont ridiculement bas et il quittera son poste après quelques mois seulement au cœur d’une controverse qui fait l’objet du dernier chapitre.
À lire sa version du cacagate, on comprend l’aigreur qu’il conserve pour le diffuseur public à qui il a pourtant beaucoup donné durant sa vie.
L’ouvrage se termine par un post-scriptum à ses fils, car la vie lui a aussi donné deux enfants, et une série de remerciements à ceux qu’il appelle ‘’ses créanciers’’, ces gens à qui il doit beaucoup. Encore une fois, la liste est étourdissante. De Janette Bertrand à l’humoriste Julie Caron en passant par le docteur Chicoine, les Claude Charron, Guy Cloutier, sœur Nicole Fournier (Accueil Boneau) et sœur Angèle. Au fait, l’ouvrage compte quelques recettes parce que monsieur a aussi passé beaucoup de temps dans sa vie à cuisiner. Ses livres de recettes ont été de grands succès d’édition.
75 ans après ses débuts au journal Le Canada, Guy Fournier est toujours présent dans les médias. Il signe une chronique dans le Journal de Montréal qui crée souvent la controverse. Connaissant l’homme, comment peut-il en être autrement? À cause de ses écrits, certains s’empêcheront de lire son autobiographie.
Ostin de bœuf!
Moi qui ai lu Jamais deux sans moi, je peux dire qu’ils ne savent pas de quoi ils se privent. Ce livre, à lire sans œillères, est divertissant à souhait.