
photo: Pierre Dury
MIXTAPE: l'écho sonore de Jean-Marc Vallée au Centre Phi
13-02-2025
Quatre ans après sa mort, Jean-Marc Vallée revit de manière virtuelle au Centre Phi par la magie des musiques qui l’ont guidé dans ses créations cinématographiques, et aussi grâce à une multitude de témoignages de collègues, amis et proches, le tout présenté de manière extrêmement originale, tout à fait dans l’esprit du réalisateur disparu.
De sa naissance à Rosemont en 1963 jusqu’à sa mort subite à Berthier-sur-Mer le 25 décembre 2021, à l’âge de 58 ans, la musique a ponctué tous les moments de la vie de ce fils de DJ.
C’est lui-même qui le dit dans une des citations que les concepteurs de l’exposition ont retenues de lui.
L’événement Mixtape est un mélange des genres, à la fois balado muséologique et exposition documentaire, comme l’écho sonore d’une vie. Un micpic, l’équivalent audio du biopic.
Cette expérience unique en son genre, à laquelle le Centre Phi nous convie gratuitement, est une plongée, ou je devrais plutôt dire une ascension, dans l’univers musical du réalisateur de C.R.A.Z.Y. . Nous sommes comme Marc-André Grondin qui s’élève dans l’église au son de Sympathy for the Devil des Rolling Stones.
Dans le premier espace du parcours, baptisé Fondation, un mur d’écrans donne d’ailleurs à voir et à entendre cette fameuse scène du film qui a été tournée, nous rappelle-t-on, alors que les droits de la chanson n’étaient pas encore obtenus!
Au milieu de cette immense salle où des extraits de Wild, Big Lies, Demolition sont aussi projetés, il y a une maquette de la maison familiale des Vallée. Alex Vallée, fils du réalisateur, nous raconte en voix off (un autre clin d’œil à C.R.A.Z.Y.) comment son père a perpétué l’héritage musical de ses parents dans sa propre famille, et dans tous ses films.









De là, on se déplace vers une plus petite salle de projection qui nous ramène aux débuts de Jean-Marc Vallée alors qu’il faisait ses gammes, si on peut dire, en s’adonnant au court métrage (Les fleurs magiques -1995, Les mots magiques -1998).
Vient ensuite la pièce de résistance: les fameux Mixed Tapes qui ont donné son titre à l’exposition.
On est invité à s’asseoir à une belle grande table de travail, et à y concocter notre propre récit à partir d’un riche contenu d’entrevues originales. Il y a des entretiens avec plus d’une vingtaine de personnes, notamment le concepteur artistique Patrick Vermette, le producteur Pierre Even, le scénariste Bryan Sipe, l’actrice Laura Dern, la musicienne Alexandra Strelinski, son collègue réalisateur Denis Villeneuve, son ami Denis Babin.
Sylvain Dumais, directeur de la création:
‘’L’idée était de laisser les gens explorer, les faire travailler un peu pour aller chercher les contenus. Jean-Marc laissait beaucoup de liberté à ses acteurs-actrices, on s’est dit on va faire pareil avec nos visiteurs. On va les laisser chercher l’histoire qui les intéresse vraiment. Si tu es fan de Vanessa Paradis ou Marc-André Grondin, tu commences par leurs témoignages.’’
La forme que l’équipe de création (Phoebe Greenberg, Émilie Heckman, Sylvain Dumais) a trouvée pour explorer le rapport que Jean-Marc Vallée entretenait avec la musique est tout simplement fabuleuse. On a évité de faire trop artsy. C’est ludique et concret.
Avec nos écouteurs sur la tête, on navigue à travers 8 thèmes proposés. Avec les curseurs de la console (les sound sliders), on peut s’amuser à faire jouer -en BG- la musique dont il est question (Tout écartillé chanson de Charlebois dans C.R.A.Z.Y., El Condor Pasa chanson de Simon-Garfunkel dans Wild, Svfen-g-englar chanson de Sigur Rós dans Café de Flore, etc.) en écoutant les témoignages, qui sont souvent très émouvants.
Un exemple: Vanessa Paradis m’a tiré les larmes à propos de la chanson What a Diff’rence a Day Makes de Dinah Washington entendue dans Café de Flore. Elle et Vallée ont découvert, à leur première rencontre à Paris, qu’ils adoraient tous les deux ce standard de jazz. Elle, depuis toujours, lui parce qu’elle lui rappelait sa mère Jacqueline qui venait de mourir, prénom qu’il a donné au personnage principal qu’il offrait à l’actrice Vanessa Paradis.
Ces Mixed Tapes sont sonores. Le verbatim des entretiens est retranscrit sur un écran devant nous selon une technique connue sous le nom de fantôme de Pepper ou fantôme de Dircks. Cet ancêtre du télésouffleur est une technique d'illusion d'optique qu’on utilisait dans les représentations scéniques, les maisons hantées et dans certains tours de magie au XIXe siècle.
Ce procédé règle efficacement le problème de la traduction des entrevues.
Je le répète, ne vous attendez pas à une exposition qui mise sur l’image. Il y a bien les affiches de film de Vallée, quelques photos, mais Mixetape est une proposition surtout sonore.
Cela se confirme dans la station intitulée Les Voix.
Dans une espèce de tente, on est convié à s’asseoir sur des bean bags pour écouter entre autres Reese Whiterspoon, Laura Dern, Matthew McConaughey, Vanessa Paradis nous raconter qui était Jean-Marc Vallée pour eux.
Leurs propos tranchent avec le discours mesquin qui a cours présentement aux États-Unis. On saisit très bien que le réalisateur a fait sa marque grâce une approche québécoise qui n’avait pas d’équivalent à Hollywood.
À travers ces témoignages, on en apprend sur sa manière inusitée de mener ses plateaux, ses méthodes de direction d’acteurs atypiques, et on découvre quelques traits de sa personnalité bien singulière.
Suzan Jacobs, superviseure musicale sur la série Big Little Lies, parle entre autres de leur plaisir commun de se baigner dans les eaux froides. Ils ont même un jour nagé ensemble dans le Pacifique, en janvier, avec des dauphins!
Félicitations à Ariane Cipriani qui a réalisé la recherche et les entrevues pour toutes ces confidences recueillies.
L’accumulation de ces témoignages laudatifs et extrêmement émouvants, dépouillés de glamour puisqu’ils sont uniquement sonores, finit par nous donner l’impression d’être dans une chapelle.
Vous verrez, si vous faites la visite, qu’il y a quelque chose de très apaisant à écouter ces voix familières se confier sur un fond de bruit de vagues, dans un décor feutré (Daniel Demay, scénographe) traversé par des éclats de lumière qu’on se met à fixer lorsque c’est au tour d’Alexandra Strelinski de s’exprimer au piano avec la pièce The Hills.
L’esprit de Jean-Marc Vallée est aussi bien présent tout au long de l’exposition. On entend même sa voix, y compris le tout dernier message vocal qu’il a laissé avant de mourir dans cette maison sur le bord du fleuve qu’il venait d’acquérir dans la région Chaudière-Appalaches.
Quand Jean-Marc Vallée a fait C.R.A.Z.Y., son plus grand défi a été d’obtenir les droits des chansons qu’il voulait mettre à l’écran. Sans les titres connus d’Aznavour, des Stones, de Pink Floyd, de Patsy Cline, le film n’aurait pas eu le succès qu’il a obtenu.
Les concepteurs de l’exposition Mixtape ont fait face au même défi.
Les droits d’utilisation des images des films de Jean-Marc Vallée et des musiques qu’on y entend étaient une condition au succès de l’exposition. Le processus a été bouclé récemment, après deux ans de démarches.
Émilie Heckman, productrice exécutive:
‘’Les droits pour la musique ont été libérés pour 3 ans au Québec, certains pour 5 ans. Et nous reprendrons l’exercice selon les marchés où l’exposition pourrait aller dans le futur. Pour les films, les studios ont été très coopératifs. Et pour ce qui est des personnalités qui nous ont accordé des entrevues, le fait que l’exposition est gratuite, il y a beaucoup de gens, collaborateurs et amis, qui ont généreusement participé en donnant de leur temps. Ça a vraiment été un projet de cœur.’’
L'exposition se termine sur une des nombreuses listes de lecture qui porte la signature de Jean-Marc Vallée. La Frenchies 58 (année de ma naissance) est franchement formidable!
Encore une fois, il faut saluer l’extrême générosité de la mécène montréalaise Phoebe Greenberg sans qui un pareil hommage n’aurait pu exister.
Pour le moment, l’exposition est à l’affiche du Centre Phi dans le Vieux Montréal jusqu’au 4 mai. L’admission est gratuite, mais on doit réserver le moment de sa visite d’avance. Il faut compter une heure à une heure et demie pour passer à travers l’essentiel du contenu offert.