photo: Pierre Dury
L'énigme Mylène Farmer déchiffrée
01-08-2024
Laissez-moi vous parler du livre que je viens de terminer; une lecture sérieuse sur une vedette née au Québec et ultra-populaire en France.
Non, pas Céline Dion, mais Mylène Farmer.
La chanteuse de 62 ans, qu’on connaît tous pour son hymne Désenchantée (entendu brièvement à la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris), a vendu plus de 30 millions de disques en 40 ans de carrière qu’elle célèbre cette année, notamment par trois concerts (oui 3!) au Stade de Paris les 27, 28 septembre et 1er octobre prochains.
Ce livre que je viens de terminer n’est pas une biographie, mais une étude sociologique du phénomène.
Sociologie de Mylène Farmer, est écrit par un docteur en sociologie de l’Université de Bordeaux, Arnaud Alessandrin (fan avoué), et Marielle Toulze, enseignante-chercheuse à l’Institut d’administration des entreprises de l’université de Saint-Étienne, spécialiste des représentations des personnes discriminées dans les médias, contaminée par son ami co-auteur.
On s’entend, Mylène Farmer ne fait pas partie des personnes discriminées dans les médias (elle est très absente des médias par choix), mais une large partie de son public l’a longtemps été par contre.
Dans les premières pages du livre, les auteurs expliquent leur méthodologie pour arriver à cerner le phénomène Farmer. Ils ont interrogé beaucoup de fans, et dans leur échantillonnage on remarque une importante communauté gay dans les répondants à leur questionnaire (45%) ce qui n’est pas le cas dans la société française (moins de 10% de la société s’identifie à une minorité sexuelle ou de genre).
Autre particularité de la clientèle de Mylène Farmer sondée par les deux chercheurs, les personnes âgées entre 40 et 60 ans constituent la majorité de ses fans (56%).
Pour ce qui est des catégories sociales, 26% sont considérés comme des employés, 27% des cadres et 20% exerçant des professions intermédiaires.
Tout ça peut sembler rébarbatif, mais ces données éclairent le rapport de l’artiste à ses fans. On comprend que les sujets que Mylène Farmer aborde dans ses textes attirent un public qui aime se considérer comme singulier, que ses musiques conscrivent des fans qui aiment danser, que l’image transgressive qu’elle a projetée dans ses clips et ses shows à ses débuts aient fascinés des adolescents qui, devenus adultes, trippent encore et toujours sur les propositions de leur vedette préférée.
C’est intéressant de voir comment Mylène Farmer a tissé au fil des ans une relation intime avec son public, malgré qu’elle se produise dans des stades pouvant attirer jusqu’à 45 000 spectateurs par représentation.
Tellement qu’aujourd’hui, ce sont ses fans qui font la promotion de ses spectacles à sa place. Elle ne donne à peu près plus d’entrevues dans les médias, on ne la voit guère en image sur les affiches, tout le battage se fait par les fans eux-mêmes qui réagissent sur les sites créés autour de sa personne.
L’entourage immédiat de Mylène Farmer n’entretient pas de fan club ni de page internet, mais il nourrit les amateurs de marchandisage qui fait le bonheur des collectionneurs et créent des liens très forts, et éventuellement lucratifs de part et d’autre.
Le livre s’intéresse aussi au contenu des chansons, comment et en quoi il résonne chez les fans. Les témoignages recueillis donne une excellente idée de la personnalité de ceux qui vibrent à cette chanteuse….mystérieuse, un mot qui revient souvent.
À part un engagement assez marqué au moment de la crise du SIDA, et en faveur du mariage pour tous, Mylène Farmer demeure une énigme politiquement. Est-elle de gauche? De droite? Écologiste avant l’heure? Les auteurs abordent aussi cette question.
Ici au Québec, on a peine à saisir le phénomène, car elle ne vient jamais en nos terres. Étrange, car elle y a vécu, de sa naissance à Pierrefonds en 1961, jusqu’au retour en France de ses parents en 1969. Son père, Max Gautier, ingénieur, était venu travailler sur le barrage de la Manicouagan.
C’est ce mystère entourant Mylène Farmer qui m’a incité à lire ce livre paru au début de l’année.
Quand j’animais Vidéoclub à la fin des années 1980, Mylène Farmer c’était un sujet en or. Elle a été une des premières en France à faire des vidéoclips très élaborés et à scandale, autant que Michael Jackson et Madonna: Libertine, Sans contrefaçon, Tristana, Pourvu qu’elles soient douces, etc. en sont quelques exemples réalisés par son mari de l’époque, Laurent Boutonat, également compositeur de ses succès jusqu’au disque Monkey me en 2012.
On repense à ça: reconstitution de scènes d’histoire de France, présence de personnages en costumes, violence révolutionnaire, mélange des genres, célébration du libertinage, n’est-ce pas que ça ressemble beaucoup à ce qu’on a vu dans certains tableaux de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris?
J’ai cherché, et je ne n’ai pas été surpris d’apprendre que le metteur en scène Thomas Jolly et l’écrivaine Leïla Slimani, qui a collaboré au scénario de Ça ira avec lui, avouent être des fans de Mylène Farmer. Leur imaginaire part de quelque part, entre autre de cette ‘’maîtresse’’ dans l’art de divertir dans la provocation.
En passant, Mylène Farmer aurait été invitée à participer à la cérémonie d’ouverture, mais a décliné l’invitation. Il n’est resté que le petit extrait de ‘’Désenchantée’’, tout à fait à propos dans l’esprit général de la proposition du metteur en scène.
‘‘Sociologie de Mylène Farmer’’ (Éditions :?!; Double Ponctuation) est une plaquette de 141 pages. Voilà, dans le contexte du débat autour de la cérémonie d’ouverture des Jeux dans un pays fascinant de culture, un ouvrage qui est arrivé pile pour moi.
Ça pourrait vous intéresser si vous trouvez aussi que de nos jours ‘’Tout est chaos!’’