photo: Pierre Dury
Ninanimishken-Je marche contre le vent de Florent Vollant et Justin Kingsley 15-12-2022
Je termine l’année avec un livre, Ninanimishken-Je marche contre le vent, aussi important que Kukum l’a été pour moi en 2021.
Là où Michel Jean racontait l’histoire de ses ancêtres du lac Pekuakami, l’auteur-compositeur-interprète innu Florent Vollant fait le récit de son propre parcours, d’Indian Point sur les bords du lac Wabush au quartier hassidique d’Outremont en passant par Maliotenam. Des forêts de la Côte-Nord aux grandes scènes du monde, en passant par l’enfer des pensionnats de six ans à l’adolescence, celui de la prison à 18 ans, et de l’hôpital où il aboutit à 61 ans, victime d’un AVC.
Dans ce livre, écrit en collaboration avec Justin Kingsley, Florent Vollant commence en évoquant, avec une émotion palpable, sa petite enfance à jouer dehors par -40 degrés. Il a le souvenir de vivre alors en parfaite harmonie avec la nature. Les membres de sa famille connaissent et respectent l’environnement dans lequel ils évoluent. Ils y sont heureux et ne manquent de rien jusqu’au jour où les siens sont délocalisés vers les réserves, et lui, envoyé au pensionnat.
Comme dans Kukum, on sent que c’est un point de bascule.
Florent Vollant nous fait vraiment comprendre ce que représente cette tragédie pour ceux qui ont goûté à ce déracinement. Dans son cas, pas de sévices de la part des religieux. Tout le temps qu’il passe au pensionnat, il fait exactement ce qu’on lui demande au point d’obtenir des notes parfaites et de devenir l’élève idéal. Mais au fond de lui naît un terrible sentiment de trahison. Cette éducation classique en français l’a conduit à renier ses propres origines. La culture qu’il a docilement gobée n’est pas la sienne.
À la fin du secondaire, cette docilité lui pèse et il explose. Les pages où il revient sur son retour à la maison familiale, dans un foyer désormais dysfonctionnel, sont déchirantes. On a peine à croire que le Florent Vollant doux et modéré que l’on connait ait pu être un jour à ce point délinquant.
C’est la musique et son grand-père Pilot qui le réhabiliteront. La musique parce qu’elle lui permet de s’exprimer. Son grand-père parce qu’il lui redonne les outils pour redevenir un véritable Innu qui connait et respecte l’environnement, fier de sa spécificité.
Au fil du livre, Florent Vollant n’hésite pas à dire les choses comme il les pense prenant par exemple à partie le premier ministre Legault pour son refus d’accepter le concept de racisme systémique. Il ne manque pas non plus de dénoncer les injustices ou les mauvais traitements qu’on fait subir aux siens, comme le cas de Joyce Echaquan.
Sur le plan professionnel, l’auteur du grand succès Tshinanu fait le détail de ses années tumultueuses passées aux côtés de Claude McKenzie dans le duo Kashtin, de sa grande amitié avec les trois Richard (Séguin, Desjardins et Zachary), et de son immense satisfaction d’avoir créé dans son patelin, Mani-utenam, un studio d’enregistrement fréquenté autant par les grands noms de la musique québécoise que la relève de la place.
Même si Florent Vollant est très modeste dans ses récits, sa biographie nous fait réaliser l’ampleur que sa carrière a eue auprès des communautés autochtones et au-delà. Très sollicité partout, il a joué avec de grands noms de la musique notamment avec l’Orchestre symphonique de Montréal et son chef Kent Nagano pour lequel il a une admiration sans borne. Il a aussi milité pour les droits d’auteurs en compagnie des Michel Rivard, Gilles Vigneault, Lise Aubut, Édith Butler, Luc Plamondon, Diane Juster et autres….
La liste des honneurs qu’il a reçus est impressionnante, mais l’artiste ne se laisse pas berner par la gloire. Le titre du livre, Ninanimishen-Je marche contre le vent, fait justement référence au danger qu’il y a à se laisser porter par le vent qui nous pousse dans le dos.
‘’J’ai toujours dû marcher contre le vent. Toujours. Ce n’est pas une mauvaise chose, vous savez. Avec le temps, quand on a pas le choix, surmonter les vents contraires, à force de travail et de persévérance, nous endurcit. (…) Je me suis fait des muscles, j’ai exercé mon esprit, développé mes propres principes, et j’ai résisté à toutes les tentations avec des pensées positives et sereines. Et tout ça parce que j’étais contre le vent, man.’’
Le livre est écrit dans une langue qui semble bien traduire la façon qu’ont les autochtones de s’exprimer et d’appréhender la vie. On comprend mieux ce que veut dire être à l’écoute de la nature qu’il soit dans une forêt de la Côte-Nord à faire du portage avec les siens ou à arpenter le mont Royal à Montréal avec son coauteur ou son ami Richard Séguin.
Comme les aînés de sa communauté l’ont fait avec lui, Florent Vollant nous fait profiter de sa sagesse en partageant un peu le vent de face que la vie lui a soufflé au visage. Nous en sortons plus instruits de ces peuples premiers avec qui nous cohabitons depuis si longtemps sans vraiment les connaître.
Ce texte a été initialement publié sur avenues.ca