
photo: Pierre Dury
RIP la Polyvalente de Hull
13-10-2024
Le samedi 19 octobre 2024 prochain, la cafétéria de la Polyvalente de Hull va revivre, avec certains de ceux qui l’ont fréquentée jadis, de 1966 à 1974.
50 ans après la fermeture de cette institution d’enseignement secondaire, des anciens ont eu l’idée d’une sorte de bal de finissants. Dans ce cas-ci, le finissant c’est la polyvalente dont l’avenir est à la casse. Après avoir servi de 1974 à aujourd’hui de centre de formation linguistique pour les fonctionnaires fédéraux, le lieu, rebaptisé Centre Asticou, fera place au futur hôpital de Gatineau.
Comme j’haïs toujours beaucoup voir mon passé s’effacer derrière moi, je suis allé faire des photos de cette polyvalente que je n’ai fréquentée qu’une année, en 1973-1974, et j’ai essayé de rassembler les miettes de son histoire.


















Avant de parler plus spécifiquement de la Polyvalente de Hull, il faut se rappeler que le concept de polyvalente est né dans la foulée de la Commission Parent et de la publication de son volumineux rapport.
Le tome 2, publié en 1964, proposait de remplacer les cours secondaires existants jusqu’alors (écoles techniques, écoles de commerce, écoles infirmières, collèges classiques) par un seul cours secondaire dans le cadre d’une ‘’formation polyvalente’’ publique, gratuite, et obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans.
Pour accueillir tous ces enfants du baby-boom aptes à fréquenter l’école, il fallait beaucoup de grands établissements scolaires, de là l’idée de campus immenses qui permettaient, de surcroit, d’offrir aux élèves une variété de cours dans des programmes généraux ou professionnels, longs ou courts.
À Hull, on visait vraiment grand. Oswald Parent, le député libéral de la région, rêvait d’une Cité étudiante pouvant accueillir jusqu’à 7 200 étudiants.
Le choix du site s’est porté sur un terrain marécageux situé aux limites de la ville de Hull, en bordure du Parc de la Gatineau.
À cause de l’instabilité du sol, impossible de construire en hauteur. On imagine donc un campus constitué de 11 pavillons reliés entre eux par des corridors, sur un terrain d’une superficie de 25 hectares (à terme on comptera 26 pavillons).
À l’automne 1965, le projet, évalué à 4 millions de dollars, est refusé par le ministère de l’Éducation : trop cher!
Les élus de la Commission scolaire ne contestent pas la décision. En fait, ils se dédouanent en disant qu’ils n’ont jamais accepté cette soumission. ‘’On l’a envoyée au ministère pour voir si elle était inacceptable’’ selon une déclaration d’un porte-parole rapportée dans le journal Le Droit du 4 décembre 1965.
Les architectes retournent à leur planche à dessin pour infléchir les coûts à la baisse.
Le 28 avril 1966, on écrit dans le Droit que le projet coûtera désormais 2,746,000 $, et qu’il accueillera 3 mille 500 élèves.
L'article, publié en page 21, est accompagné d'une photo d'Oswald Parent aux manettes d'une pelle mécanique. La légende parle du ''sifflet de départ'' du projet de construction de la polyvalente.
Il faut rappeler qu'en avril 1966 le Québec est en campagne électorale depuis 10 jours, et que le député Oswald Parent sollicite un quatrième mandat. On imagine qu'il tenait à laisser savoir que sa promesse de doter son comté d'une polyvalente était en voie de réalisation. Le politicien sera réélu sous la bannière du Parti Libéral le 5 juin 1966, mais dans l'opposition.
L'article mentionne aussi que c'est l'entrepreneur J.G. Bisson (à droite sur la photo), développeur immobilier bien connu de la région, qui a été choisi pour faire les travaux. Lors du photo op, Oswald Parent remercie Jimmy Bisson d'avoir ''accepté d'entreprendre les travaux de construction avant d'avoir signé un contrat avec la Régionale''.
C'est un gros chantier.
À la nuit tombée on voit, de la rue Isabelle où j’habite, la lueur des lumières qui éclairent le site de construction.
Selon un document de la Ville de Gatineau, la construction de la Cité des jeunes s’est étalée de 1966 à 1969. Un document de Lieux patrimoniaux du Canada parle d’une période allant de janvier 1963 à janvier 1968.
La durée des travaux s'explique sans doute par le nombre de phases. Bien que les plans ne prévoient pas vraiment d’excavation et des pavillons à seulement un étage, l'érection d'un projet en terrains marécageux a dû comporter son lot de problèmes.
Il y aura d'ailleurs toutes sortes d'embûches en cours de route.
Un exemple?
La Cité des jeunes est située sur le territoire de Lucerne. Cette petite ville, voisine de Hull, n’a pas la capacité financière d’amener ses infrastructures jusqu’à la frontière de Hull. Devant cet énorme inconvénient, le ministère de la Santé exige que ce soit Hull qui offre les services d’égouts et d’aqueduc. Pour régler le problème, Oswald Parent, député omnipuissant dans la région, lance l’idée que la Cité étudiante soit annexée à Hull. Rappelons que nous sommes en pleine campagne électorale, à moins de six mois de l'ouverture de la polyvalente.
Quoi qu’il en soit, les premiers mois à la nouvelle Polyvalente de Hull sont pénibles pour les étudiants.
Selon Le Droit, en octobre 1966, 300 des 1,213 élèves font la grève. ‘’Les élèves des huitièmes et neuvièmes années (garçons) générale et scientifique…décident de retourner à leur domicile à cause de l’état délabré des lieux’’, peut-on lire.
On rapporte que les terrains sont inondés, que des courants d’air règnent en permanence dans les corridors, que les cloisons amovibles des locaux nuisent à l’insonorisation des classes. Les élèves se plaignent aussi des casiers métalliques.
L’année suivante, c’est la commission scolaire qui renvoie les élèves chez eux en début d’année scolaire parce que l’ameublement et l’équipement des locaux pour accueillir les 2 600 étudiants attendus en septembre 1967 ne sont pas complets.
Ce n’est pas faute d’y avoir pensé.
Il y a deux firmes d’architectes associées à cette construction : Sarra-Bournet et Audet de Hull, et Papineau, Gérin-Lajoie, Leblanc de Montréal.
On doit aux deux architectes hullois des projets comme le Manège militaire, l’Hôpital La Pietà, de nombreuses écoles (Larocque, Carrière) et encore plus d’églises (Saint-Joseph, Sainte-Bernadette, Notre-Dame-de-la-Guadeloupe).
Quant à l’équipe de Montréal, elle a à son crédit la station de métro Peel, le Pavillon du Québec d’Expo 67 (avec Luc Durand), l’Aéroport international de Mirabel, et, à Hull, la phase IV de Place du Portage.
Selon un énoncé sur la valeur patrimoniale de l’édifice, publié en 2006 par l’organisme Lieux patrimoniaux du Canada, les Blocs 100 à 1100 sont un très bon exemple du mélange de plusieurs styles et tendances qui avaient cours dans l’architecture canadienne des années 1960.
L’énoncé souligne que la fenestration généreuse assure une bonne luminosité à l’intérieur de l’établissement et de belles vues sur la nature environnante. On salue l’harmonie entre les pavillons par une utilisation judicieuse de briques rouges et de bardeaux de cèdre, et l’excellent équilibre avec la finition intérieure.
Pour l’auteure de l’énoncé, ce complexe est un patrimoine à protéger parce qu’il est un excellent exemple de la transformation du système scolaire québécois dans les années 1960. La polyvalente dans sa quintessence!
Mais revenons justement à la mission pédagogique des polyvalentes. Assez vite après leur ouverture, les polyvalentes du Québec révèlent leurs défauts.
La taille de ces institutions est difficilement gérable. Pour remplir ces usines du savoir, il fallait rabattre les élèves dans un large périmètre et les transporter en autobus scolaire. On a alors beaucoup parlé du ‘’péril jaune’’.
Et quelle sorte d’enseignement y offre-t-on?
Dans un article de Denis Lessard sur les 60 ans de la polyvalente québécoise, publié en avril 2021 dans le journal La Presse, l’ancien sous-ministre de l’Éducation Robert Bisaillon dit ceci :
‘’ Le programme-cadre, c’était un laissez-passer pour faire à peu près n’importe quoi, la formation pouvait varier considérablement d’une classe à l’autre. Les professeurs étaient engagés sans qu’on vérifie trop sérieusement leur formation’’. On dirait qu’il parle d’aujourd’hui!
Dans ce même article, Guy Rocher, un des pères de la réforme de l’éducation au Québec, est aussi très réaliste :
‘’S’il y a un échec de la commission Parent, c’est qu’on n’a jamais réalisé l’école secondaire polyvalente telle que proposée.’’
En tout cas, les gestionnaires de la Polyvalente de Hull ont vite réalisé que le bâtiment n’était pas compatible avec l’enseignement secondaire. On sautera sur l’occasion de vendre le site au Gouvernement fédéral qui en fera son centre de formation linguistique, la Loi sur les langues officielles augmentant considérablement les besoins en termes d’espace pour y donner des cours de langue à ses fonctionnaires de la région de la Capitale nationale.
Alors que la dernière année scolaire achève à la Polyvalente de Hull en 1974, Fernand Mousseau, le directeur général de la CSRO, épilogue dans le journal Le Droit du 19 avril de cette année-là.
‘’Aujourd’hui on construit des écoles en fonction de l’enseignement qu’on veut y donner alors qu’au moment de la construction de la Polyvalente de Hull, on construisait une belle école et par la suite, on tentait d’y adapter l’enseignement.’’
De fait, l’histoire de la Polyvalente de Hull aura duré moins de 8 ans, et ça fait 50 ans cette année que sa vocation s’est terminée.
Qu’adviendra-t-il de ce campus maintenant que le Gouvernement du Québec a choisi cet emplacement pour y construire le nouvel hôpital de Gatineau?
Ça, c’est une autre histoire….
À suivre!