
photo: Pierre Dury
Soundtrack pour un Coup d'État
29-03-2025








Après avoir remporté le prix du meilleur essai au Festival international du film sur l'art, le documentaire Soundtrack to a Coup d’État, prend l'affiche de la Cinémathèque québécoise du 4 au 10 avril. Cette percutante coproduction de la Belgique, de la France et des Pays-Bas, en nomination aux Oscars dans la catégorie meilleur documentaire au début du mois, est à ne pas manquer.
Dire que j’ai failli passer à côté en raison de sa longueur!
Oui, le film dure 2 heures 30, mais finalement aucune minute n’est de trop pour faire le portrait du dérapage de l’indépendance du Congo en 1960, un enjeu qui a fait s’affronter Américains et Russes, deux puissances attirées par les terres rares de ce gigantesque pays d’Afrique. (L’uranium qui a servi aux bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki venait du Congo)
Tiens, tiens, comme ça ressemble à ce qui se passe en Ukraine aujourd’hui.
Il y a 65 ans, c’est Patrice Lumumba qui chaussait l’équivalent des souliers de Zelensky aujourd’hui.
Avec des archives exceptionnelles, le réalisateur Johan Grimonprez démêle pour nous, avec clarté et originalité, les multiples ramifications de ce moment extrêmement tendu de la Guerre froide et de la fin de la colonisation.
Il y a les enjeux propres au Congo (l’indépendance du pays acquise par Patrice Lumumba, le désenchantement des Belges devant la tournure des événements, le coup d’État fomenté par Mobutu grâce à l’appui de la CIA, l’indépendance du Katanga, la région la plus riche du Congo), et il y a aussi l’écho de toute cette tension aux Nations-Unies, organisation qui se transforme avec l’arrivée de nombreux nouveaux pays indépendants qui changent l’orientation de l’Assemblée Générale.
En réaction aux Soviétiques qui courtisent les non-alignés (c’est fascinant de voir Nikita Khrouchtchev distribuer les accolades, s’emporter à la tribune de l’ONU et frapper sur son bureau en guise de protestation), les Américains (dirigé par le Républicain Dwight D. Eisenhower) jouent sur deux tableaux: la diplomatie et les actions clandestines.
Pendant que le président Eisenhower commande l’assassinat de Patrice Lumumba, le père de l’indépendance du Congo, le Secrétariat d’État américain envoie des artistes en Afrique pour dorer son blason,.
Pas n’importe quels musiciens, les plus grands musiciens jazz de l’heure Louis Armstrong, Nina Simone, Duke Ellington, Dizzy Gillespie, Melba Liston.
Le documentaire est alors l’occasion d’aborder l’énorme contradiction dans laquelle se plaçait alors les États-Unis, c’est à dire d’envoyer comme ambassadeurs à l’étranger, des citoyens dont on foulait les droits à la maison comme le dénonçait Malcom X. Ses propos, sortis des archives, sonnent encore aujourd’hui comme une tonne de briques.
Le film est traversé d’extraits musicaux de ces légendes du jazz que la CIA a utilisées à leur insu. Cela donne une puissance incroyable à la démonstration du réalisateur dont il faut saluer le travail.
Johan Grimonprez a mis quatre ans à faire son film, à dénicher toutes ses archives (il faut voir la scène où l’Assemblée Générale des Nations-Unies devient une arène de boxe après l’annonce de l’assassinat de Lumumba, ou celle où un Congolais subtilise l’épée lors de la visite du Roi Baudoin à Léopoldville le jour de l’indépendance), et à collecter des aveux d’agents secrets et de mercenaires impliqués dans cette saga meurtrière.
Grimonprez fait une utilisation formidable des ‘’supers’’ comme on dit dans le métier à propos des informations en surimpression. Il cite des rapports d’enquête, des articles de presse, des câbles secrets (l’ancêtre des courriels cryptés).
Dans ce grand réquisitoire filmé, les Belges ne font pas très belle figure, le Suédois Dag Hammarskjöld, deuxième Secrétaire général de l'ONU et les Américains non plus.
Les Républicains au pouvoir à Washington actuellement ont l’air d’enfants d’écoles à côté des faucons de l’époque.
Bref, c’est un film à voir, car il aide à comprendre comment le monde est mené, et qui confirme l’idée qui veut que l’histoire ne cesse jamais de se répéter. Le Congo n’est-il pas toujours un pays convoité pour ses terres rares, au prix de guerres malheureusement toujours fratricides?