photo: Pierre Dury
La lumière de Bang Hai Ja à Chartres
À la fin de 2023, les visiteurs de la cathédrale de Chartres pourront de nouveau pénétrer dans sa chapelle, la chapelle Saint-Piat. Cette église médiévale a été fermée pendant plus de 20 ans parce qu’elle nécessitait d’importants travaux de rénovation. Tant qu’à faire, on a décidé de la doter de nouveaux vitraux. C’est l’artiste coréenne Bang Hai Ja qui a remporté le concours. Je raconte cette histoire dans le cahier Inspiration de la Presse + du 9 septembre.
Mon rapport avec Bang Hai Ja remonte à 1994, alors qu’elle est venue exposer ses œuvres au Centre d'art Morency à Montréal. L’exposition était organisée par son frère, Hun Bang, un Québécois à nul autre pareil. On lui doit entre autres la fondation de l’Orchestre Métropolitain et du Quatuor Morency (les pochettes de cet ensemble musical étaient ornées d’œuvres de sa sœur).
À l’époque, ma tâche au Montréal Ce Soir consistait à produire un calendrier culturel. Notre assistante à la réalisation, Guylaine Phillie, accompagnait le cameraman et le preneur de son en tournage. Je me déplaçais dans les cas où il y avait des entrevues. Nous n’avions pas prévu en faire une avec Mme Bang. Mais quand Guylaine est revenue de tournage, son emballement et les images prises par l’équipe m’ont fait changer d’idée. Il fallait s’entretenir avec cette artiste, d’autant plus qu’elle parlait français, vivant en France depuis 1961.
Hun, son frère, m’en a été éternellement reconnaissant.
J’en ai eu la confirmation en 2013 lorsque j’ai pris ma retraite de Radio-Canada. Alors que je n’étais plus assujetti aux normes et pratiques journalistiques de mon employeur, il m’a fait inviter en Corée par le KOCIS, le service coréen de la culture et de l'information, un organisme public du ministère coréen de la Culture.
À cette occasion, j’ai eu la chance de rencontrer de nouveau Bang Hai Ja qui exposait ses œuvres, notamment des vitraux, dans une galerie du Heyrie Art Valley, un village culturel situé tout près de la frontière avec la Corée du Nord.
En 2018, lorsque Hun m’a informé que sa sœur avait remporté le concours pour le renouvellement des vitraux de la chapelle Saint-Piat de Chartres, je me suis dit qu’à mon prochain voyage en France, je ferais un détour par la Beauce française pour voir ça.
Ce voyage s’est donc présenté en avril-mai dernier, mais les travaux n’étaient pas terminés, et la chapelle était toujours fermée au public.
Qu’à cela ne tienne, j’ai remué ciel et terre pour avoir un accès aux lieux lors de mon passage en France.
Pas évident, je vous en passe un papier. La cathédrale et sa chapelle étant encore en travaux, inutile de vous dire qu’il n’y avait pas d’attachée de presse en fonction pour faire la promotion de ce qui sera certainement un jour une attraction très courue des amateurs de cathédrales.
C'est donc avec la responsable du chantier que j'ai dû transiger. Irène Jourd'heuil, est conservatrice des monuments historiques à la Direction des affaires culturelles du Centre-Val de Loire, du ministère de la Culture de la France. Cette femme avait manifestement autre chose à faire dans sa vie que de recevoir un journaliste québécois aussi intéressé soit-il par le travail de l'artiste d’origine coréenne retenue par le jury. Il faut la comprendre, le chantier de restauration de la cathédrale de Chartres demande une attention de tous les instants en raison du patrimoine impliqué, de l'énorme budget qui y est consacré, et des nombreux travailleurs spécialisés nécessaires.
Vive le courriel! Dans une suite d’échanges (où j’ai utilisé des arguments auxquels elle ne pouvait demeurer insensible, notamment la dette que je dois à Hun Bang de m’avoir permis de commencer ma retraite de Radio-Canada avec un voyage culturel que je n’aurais jamais pu me permettre), j’ai réussi à la convaincre de me faire faire une visite.
Rendez-vous fut donc pris pour une visite le 3 mai avec Irène Jourd’heuil dans la chapelle encore en travaux. Avec ma blonde, j’ai pris le train à Paris le matin même, alors que ma guide du jour partait de chez elle à Orléans, (plus d’une heure et quart de route) avec son fils en congé d’école ce mercredi matin là.
Ciel bleu, soleil rayonnant, la journée était parfaite.
Je n’oublierai jamais quand, avec son immense trousseau de clés qui ouvrent toutes les portes de la cathédrale, la maîtresse de céans a ouvert celles de la chapelle Saint-Piat. Et la lumière fût! Le lieu était en effet baigné d’une luminosité que je qualifierais de divine. Les couleurs, typiques du travail de Bang Hai Ja, reflétaient sur le sol et dans l’air chargé de poussière en suspension. Devant tant de beauté, une bouffée d’émotions m’a fait monter les larmes aux yeux!
Et que dire des fresques sur les murs, affichant leurs couleurs du 13e siècle. Comme je le raconte dans mon article de La Presse +, il y a même un dessin de la cathédrale sur une des fresques, une découverte archéologique qui fait, avec raison, la fierté de Mme Jourd’heuil.
Cette dernière a été une guide de rêve en ces lieux remplis d’histoire. Elle avait réponse à toutes nos questions. Manifestement, cette femme est passionnée par sa discipline.
Si vous souhaitez voir les vitraux de Bang Hai Ja, sachez que la chapelle Saint-Piat ne sera pas accessible au public avant la fin de l’année.
Aussi, il existe un excellent documentaire sur cette artiste disparue l’an dernier. Il me semble que le site Art.films du Festival international du film sur l'art devrait mettre Bang Hai Ja - Passeuse de lumière à son programme.
Et pourquoi pas une exposition posthume de l’artiste au Musée des beaux-arts de Montréal? On voit trop peu d’artistes coréens dans nos institutions muséales québécoises.